Tchat avec Olivier Besancenot (Le Monde 27 octobre)...

Publié le par LCR 06 OUEST

Tchat avec Olivier Besancenot.

 


Ours : Comment analysez-vous la crise financière actuelle ? Est-ce qu’elle conforte votre grille de lecture marxiste ?


Olivier Besancenot
 : Oui, elle conforte notre grille de lecture marxiste. On n’est d’ailleurs pas les seuls, puisque des libéraux eux-mêmes redécouvrent Marx pour comprendre le système qu’ils ont eux-mêmes mis en orbite. La crise actuelle n’est pas que la crise du capitalisme financier, c’est la crise du capitalisme tout court. On ne peut pas dissocier le capitalisme financier du capitalisme industriel. Le capitalisme financier est né du capitalisme industriel, il vit en son sein. Depuis l’après-seconde guerre mondiale, le capitalisme industriel a bon an mal an réussi à générer toujours plus de capital. Il en a tellement généré qu’il s’est retrouvé avec un surplus de capital que Marx appelait le capital fictif. Ce capital, plutôt que de le laisser dormir, les capitalistes industriels ont décidé de le faire fructifier par des placements financiers internationaux. C’est le début de la financiarisation de l’économie.


Boubounty : Par curiosité, avez-vous perdu de l’argent avec la crise ?


A part par le blocage des salaires qui concerne la majorité de la population, non. Je n’ai pas d’actions en Bourse, si c’est ça la question.


Isabelle : Quelle appréciation portez-vous sur l’action de Nicolas Sarkozy ces dernières semaines face à la crise, à la fois au plan international et au plan national ?


La politique de Sarkozy comme des gouvernements européens ou comme celui des Etats-Unis ne fait qu’alimenter un peu plus la crise économique elle-même. C’est la politique de l’arroseur arrosé qui propose d’arroser dans la même direction.


En effet, de deux choses l’une : soit les organismes publics mis en place par les gouvernements rachètent en effet les titres pourris des banques, et dans ce cas-là, c’est la récession. A titre d’exemple, le seul plan pour la France représente 17 % du PIB.


Soit les organismes publics n’en viennent pas à débourser l’argent public, et l’effet d’annonce suffit à rétablir la confiance dans les banques (ce qui relève déjà du miracle), et dans ce cas-là, la crise financière est toujours présente puisque les titres pourris restent en possession des banques, et le ver est toujours dans le fruit.


Donc objectivement, on peut dire que les mesures prises par tous ces gouvernements vont avoir comme conséquence le fait que le plus gros des difficultés économiques restent devant eux, et non derrière.


Tophus : Pensez-vous que la crise actuelle est une chance pour mettre en place un nouveau modèle économique ?


Une chance, pas automatiquement, car la crise du capitalisme est en général rarement payée par les capitalistes eux-mêmes, mais par la majorité du peuple, sauf si ce dernier décidait de changer de société.


La seule chose qu’on peut espérer de cette crise, c’est qu’elle serve de révélateur au même titre que la crise écologique a pu le faire depuis quelque temps, pour que des millions de personnes ouvrent les yeux et comprennent la nécessité de changer de société. Face à la crise, nous proposons que la société arrête de subir l’économie de marché, qu’elle change de façon radicale le mode de développement économique et social actuel, et qu’elle s’attelle enfin à la construction d’une autre société que la société capitaliste.


Cela implique d’ôter à une minorité de privilégiés le pouvoir exorbitant et incontrôlé qu’elle exerce sur la société tout entière. Cela commence par obtenir le droit de savoir pour la population. Nous proposons par exemple de lever les secrets bancaires, commerciaux et industriels pour savoir enfin où vont les circuits financiers que seuls quelques capitalistes suivent aujourd’hui à la trace.


Kereven : Depuis le début de la crise, la gauche est silencieuse. Seul DSK a fait parler de lui. On ne retient que les milliards offerts par Sarkozy aux responsables de cette crise. La gauche est-elle au courant qu’il y a une crise ?


Il faudrait poser la question à la gauche à laquelle vous pensez. Pour notre part, nous n’avons de cesse de militer aux côtés des victimes de la crise économique actuelle, aux côtés des salariés licenciés, ceux qui sont victimes de la précarité, ou aux côtés des usagers et salariés des services publics en cours de privatisation, à La Poste ou dans la santé par exemple.


Nous militons pour rendre audible notre proposition qui consiste à changer de logiciel par rapport à celui de l’économie de marché. L’économie de marché produit d’abord et se pose les problèmes ensuite, quitte à susciter beaucoup de gaspillage, à créer du chaos climatique et à créer la catastrophe sociale. Changer de logiciel, cela veut dire adopter une démarche qui part de la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux pour, en amont, planifier démocratiquement une production à la hauteur du strict nécessaire.


Le débat n’est donc pas plus ou moins de croissance, mais d’établir une croissance qui soit socialement et environnementalement juste.


Roseline : Scénario de fiction : vous êtes au pouvoir lorsqu’une crise comme celle que nous connaissons survient. Que faites-vous ?


Tout de suite, dans un premier temps, plutôt que de ne nationaliser que les entreprises privées qui chutent du fait de l’économie de marché, nous proposons de réunifier toutes les banques, qu’elles soient publiques ou privées, dans un seul et même pôle public bancaire. Nous proposons d’exproprier les entreprises privées du système bancaire pour fonder un nouveau service public bancaire placé sous le contrôle des salariés, des usagers et des consommateurs. Dans la même logique, nous proposerions d’établir un service public bancaire européen. Il faut savoir qu’une entreprise bancaire comme Clearstream, qui est la banque des banques européennes, possède en dépôt plus de 10 000 milliards d’euros. Aujourd’hui, cette banque fait la pluie et le beau temps. De même que la Banque centrale européenne. Et tout cela hors de tout contrôle. Voilà une des mesures qui permettraient de faire passer le droit à l’existence pour tous, prioritaire sur la rentabilité de certains, et de prendre la route de la construction d’une autre Europe, sociale et démocratique qui rompe avec les traités de l’Europe actuelle.


MaxPlanck : On nous assène depuis dès années que les caisses sont vides. Qu’en pensez-vous ?


Pas pour tout le monde. Le gouvernement est capable de trouver en quelques heures des milliards d’euros pour les responsables de la crise économique. Or le même gouvernement explique sur tous les tons depuis plusieurs mois que les caisses sont vides quand il s’agit de venir en aide aux victimes de la crise économique.


Sarkozy trouve 3 milliards d’euros pour aider l’entreprise bancaire privée Dexia. Le même gouvernement dit ne pas pouvoir payer sa facture et sa dette auprès de La Poste, service toujours public, au nom du fait qu’il n’aurait pas les moyens pour ça. Et de justifier alors la privatisation de cette dernière. En vérité, la politique libérale sait s’accommoder de l’intervention de l’Etat, avec l’idée que l’Etat aide à socialiser les pertes entre tous et à privatiser les profits pour quelques-uns.


1921 : Quel chemin proposez vous pour passer d’un capistalisme où nous sommes tous rouages vers un autre « idéal » où notre passivité ne sera plus ?


Une démarche progressive et soutenable qui se voudrait compatible avec la logique du tout-marché est vouée à l’échec. Nous assumons le fait que nos propositions sont contradictoires avec l’économie de marché.


Certains diront même que ce sont des mesures d’autorité. Pourtant, quand il y a une catastrophe naturelle, on n’hésite pas à décréter l’état d’urgence en prenant des mesures d’autorité. Face à la catastrophe sociale, nous proposons de décréter l’état d’urgence sociale en imposant des mesures d’urgence qui permettraient à des millions de personnes de sortir enfin la tête de l’eau : l’interdiction des licenciements, l’augmentation des salaires, la création massive d’emplois publics, etc.


Nous pensons par exemple que, plutôt que de servir de tente à oxygène pour continuer par tous les moyens à faire vivre une économie de marché en train de s’écrouler, les pouvoirs publics feraient mieux d’imposer une augmentation de salaires et d’indexer les salaires sur les prix. Il ne s’agit pas que d’une mesure de justice sociale, mais d’une mesure de rationalité économique qui est la seule, à terme, qui nous permettra de sortir de la crise.


Le Grec : Pour ma part, je pense qu’une révolution ou un changement brutal de société n’est pas possible. Pensez-vous toujours qu’une révolution peut arriver ? Qu’est-ce qui vous fait penser que cela est vraiment possible ?


Oui, toujours. J’en suis plus que jamais convaincu. Nous sommes dans un pays qui a connu plusieurs révolutions : 1789, 1830, 1848 ou 1871. Notre société a également connu de grands mouvements populaires en 1936, à la Libération ou en 1968. Pour moi, une révolution, c’est la majorité du peuple qui fait irruption là où on ne l’attend pas, c’est-à-dire sur la scène politique.


On sait qu’à chaque fois que le peuple a fait irruption là où se trame son propre destin, les choses changent et elles changent vite. Tant que le peuple reste extérieur à la scène politique, les choses ne changent pas ou régressent, et la scène politique reste un théâtre d’ombres où les politiciens professionnels, parfois malgré eux, ne font qu’appliquer ce que leur dicte le vrai pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir économique.


Charlie : Olivier, ta démarche est sympathique, le projet NPA sans doute un beau projet. Mais enfin, pour faire avancer ses idées, il est quand même intéressant de se "compromettre" au gouvernement, de participer au gouvernement, quitte à signer un programme politique avec les autres composantes de la gauche, PS, MRG, PCF. Le NPA ira-t-il un jour au gouvernement ?


Pas avec ce Parti socialiste pour appliquer des mesures qui sont compatibles avec l’économie de marché (c’est la déclaration des principes du Parti socialiste auquel se sont ralliés ces différents candidats). Participer à un gouvernement anticapitaliste qui augmenterait les salaires, qui interdirait les licenciements, qui développerait de nouveaux services publics dans la petite enfance ou le 4e âge, qui imposerait un moratoire sur les OGM, ce serait sans problème. Mais pour cela, il faudra une mobilisation massive qui soit capable d’imposer le rapport de force nécessaire à l’oligarchie économique actuelle pour imposer et le partage des richesses, et le partage du pouvoir.


Parce qu’un gouvernement anticapitaliste, c’est d’abord un autre type de démocratie, qui fonctionne du bas vers le haut, et non pas du haut vers le bas comme aujourd’hui.


Romain69 : Le NPA pense-t-il faire des alliances électorales à l’avenir (avec LO, PCF, PRS...) ou pense-t-il devenir majoritaire seul ?


Nous sommes favorables à l’unité de toute la gauche sociale et toute la gauche politique quand il s’agit de résister face à la droite. Cette unité est aujourd’hui trop rare, et nous le regrettons. Pour la première fois, une large mobilisation unitaire regroupe toute la gauche pour exiger un débat national et un référendum contre la privatisation de La Poste. Il serait temps de généraliser cet exemple.


Quand il s’agit de proposer politiquement à gauche, nous revendiquons en effet notre indépendance totale vis-à-vis de la direction du PS et de son programme, parce que nos solutions ne s’inscrivent pas dans le cadre de la continuité du système capitaliste.


Certains à la gauche du PS vont continuer à vouloir peser de l’intérieur dans des alliances avec le PS, on leur souhaite bon courage. Nous pensons que notre indépendance est la méthode la plus efficace pour créer des majorités d’idées dans un certain nombre de secteurs de la société : les entreprises, les quartiers populaires ou la jeunesse. Car notre indépendance, c’est notre liberté de parole et de proposition, et on espère que cette méthode inspirera enfin les directions des autres organisations de la gauche radicale


Romain la dvenu : Comment allez-vous vous servir de la crise lors des prochaines échéances électorales ?


Nous allons intervenir politiquement sur la crise économique à travers toutes les échéances, qu’elles soient sociales ou électorales.


L’économie de marché est tiraillée par un dilemme et une contradiction : en effet, il ne suffit pas de produire, encore faut-il vendre et écouler les capitaux qui sont produits. Or, en mettant les travailleurs et les peuples en concurrence entre eux, en accentuant la division internationale du travail, et en célébrant une économie de marché "libre et non faussée", le capitalisme en Europe ne fait qu’accentuer le problème en ôtant à la majorité de la population les moyens de pouvoir consommer et de satisfaire ses besoins sociaux. Cette idée politique, nous la défendons avec d’autres militants d’autres partis européens, en Italie, dans l’Etat espagnol, au Portugal ou en Pologne. Face à la crise, nous avons le projet de monter une force anticapitaliste européenne.


Oqurs : Que répondez-vous vous à une grosse partie non négligeable de la population qui a peur de votre mouvementet l’assimile à la dictature prolétariat ?


Qu’il ne faut pas avoir peur. Je crois qu’une majorité de la population n’est en effet toujours pas convaincue des idées révolutionnaires à cause du discrédit des sociétés bureaucratiques qui ont pu exister à l’Est. En même temps, une part sans cesse croissante du monde du travail et de la jeunesse trouve les révolutionnaires de plus en plus utiles et efficaces pour résister, mais aussi pour proposer dans les échéances sociales, politiques ou électorales.


L’objet de notre nouveau Parti anticapitaliste est de participer à la refondation d’un nouveau projet de société anticapitaliste où l’on fasse la démonstration que socialisme et démocratie sont indissociables. Nous avons eu jusqu’à présent deux types de société : le capitalisme et le socialisme bureaucratique à l’Est. Dans les deux cas, c’est une minorité qui décide pour la majorité.


Dans un cas, une minorité de riches décide pour nous tous ; dans l’autre, c’est une minorité d’apparatchiks qui décidait pour tous. Le troisième modèle que nous voulons inventer est celui d’une société où ce serait la majorité qui décide pour elle-même, qui puisse contrôler, posséder et répartir les richesses qu’elle est la seule à fabriquer.


Gyom : Quitter le capitalisme est-il applicable dans un pays comme le nôtre complètement ancré dans ce système ?

La réponse est oui. Maintenant, je ne lis pas dans le marc de café et je ne sais ni où ni quand une révolution et un changement de société pourraient débuter. La seule chose dont je suis convaincu, c’est que cette transformation révolutionnaire est nécessaire, qu’elle est possible et qu’elle ne pourra pas se produire dans un seul pays.


Dans une échelle moindre, et toutes proportions gardées, différents gouvernements en Amérique latine résistent au pouvoir du capital et à l’ordre impérialiste des Etats-Unis en établissant une nouvelle zone d’échange qui s’appelle l’ALBA (alternative bolivarienne) face au projet d’ALCA (projet de libre-échange dicté par les Etats-Unis).


Sylvia Zappi

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