Le RSA : Revenu de Solidarité Active...

Publié le par LCR 06 OUEST

 

En 2005, chargé d’un rapport officiel sur les moyens de combattre la pauvreté, Martin Hirsch, ancien président d’Emmaüs France, fait un certain nombre de propositions, dont celle d’un « revenu de solidarité active » (RSA) visant deux objectifs : combattre la pauvreté des travailleurs précaires en leur apportant un complément de revenu ; inciter chômeurs et bénéficiaires de minima sociaux (lirte encadré ci-dessous) à prendre ou à reprendre un emploi. Pour cela, il conviendrait de combiner les revenus du travail et les revenus de la « solidarité ».

Dans le projet de 2005, toute personne travaillant, même à temps très partiel (un quart de temps), aurait un complément de revenu lui permettant de passer au-dessus du seuil de pauvreté tel qu’il est officiellement défini (60 % du revenu médian1). Par ailleurs, toute personne percevant un revenu social, qui prendrait ou reprendrait un emploi, verrait son revenu augmenter effectivement, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui en fonction du caractère différentiel des allocations et du fait que la perception d’un minima social ou la situation de chômeur s’accompagnent d’avantages annexes.

RSA et explication du chômage

Sans que ses partisans en soient forcément conscients, le RSA s’inscrit dans le cadre d’une analyse rejetant sur les chômeurs la responsabilité de leur situation. Le chômage s’expliquerait en partie par leur mauvaise volonté et l’insuffisance de l’écart entre, d’une part, les allocations chômage plus les prestations sociales et, d’autre part, le revenu apporté par la prise d’un emploi. Pour que le chômage baisse, il faudrait donc que « le travail paye ». Comme on se refuse à augmenter le niveau des salaires, il faut instaurer un contrôle plus strict des chômeurs, une plus grande conditionnalité des prestations sociales et la mise en place de systèmes permettant le cumul d’un emploi avec certaines prestations sociales, ou bien la création de suppléments de revenus liés à l’exercice d’un emploi. Et ces derniers ne sauraient être à la charge des entreprises.

Cette vision considère que les emplois vont s’ajuster à la demande – si on cherche, on trouve – ce qui est inexact. Aujourd’hui, deux tiers des bénéficiaires du RMI cherchent effectivement du travail et les autres ne le peuvent pas car ils sont fréquemment handicapés par des problèmes de santé. Par ailleurs, un tiers des RMistes reprenant un emploi déclarent ne pas y gagner financièrement.

RSA et rémunération du travail

Le RSA a une autre filiation douteuse. Celle d’une renonciation implicite à l’objectif selon lequel chacun doit pouvoir accéder à un travail dont le salaire, accompagné d’une protection sociale correcte, doit lui permettre de vivre décemment.

Le Medef appelle ainsi périodiquement à séparer ce qui, selon lui, relève des entreprises (les salaires) de ce qui doit relever de l’État (la politique des revenus). En clair, cela veut dire que les entreprises doivent être libre de fixer les rémunérations (sans avoir à s’encombrer de règles en matière de salaire minimum) et les formes d’emploi (en déterminant librement la durée du travail). Si les emplois ainsi créés ne permettent pas aux salariés de vivre, c’est à l’État de prendre en charge la « solidarité » à distribuer. Naturellement, dans cette optique, les rémunérations versées par les entreprises sont supposées être le reflet de paramètres purement objectifs (« Mon cher ami, ce n’est pas nous qui fixons les salaires, mais la concurrence… ») et non pas de rapports de force.

Ce n’est donc pas un hasard si Sarkozy, élu président, a bombardé Martin Hirsch, comme haut-commissaire aux Solidarités actives, avec mission de mettre en œuvre le RSA (dont Ségolène Royal avait, elle aussi, fait l’éloge durant sa campagne). L’objectif de réduction d’un tiers en cinq ans de la pauvreté a été affiché. Dès octobre 2007, une loi a annoncé la mise en œuvre du RSA, d’abord à titre expérimental.

Tel qu’il est actuellement proposé par Martin Hirsch, ce RSA est une allocation dégressive qui se substituera en particulier au RMI. Les personnes sans revenu recevront un revenu minimal, d’un montant peut-être équivalent au RMI actuel. Les personnes ayant des revenus d’activité pourront cumuler, jusqu’à ce qu’elles atteignent un revenu cible, ces revenus d’activité avec une fraction décroissante du revenu minimal. Selon le montant du revenu minimal et la règle de cumul adoptés, le seuil à partir duquel se fait la sortie de la pauvreté peut varier fortement. Dans la version initiale du projet, une personne occupant un emploi à quart de temps, rémunérée sur la base du Smic horaire, recevrait un complément suffisant pour la faire sortir de la pauvreté (60 % du revenu médian). La version 2007 est plus évasive sur l’objectif et les scénarios indicatifs le revoient sensiblement à la baisse. Si la version initiale du RSA supposait une augmentation des dépenses sociales, ce n’est pas forcément le cas du nouveau RSA redimensionné. En tout cas, les personnes ne reprenant pas d’emploi resteront bien en dessous du seuil de pauvreté.

Les bas revenus vont-ils payer le RSA ?

Le RSA est destiné à se substituer à certains minima sociaux : au RMI, à l’allocation pour parent isolé (API) et, peut-être, à l’allocation de solidarité spécifique (lire encadré page 8). Il se substituerait également à d’autres dispositifs.

Tout d’abord, aux mécanismes d’intéressement liés aux minima sociaux. Ces mécanismes consistent à prolonger partiellement, pour une durée de douze mois – contrairement au RSA qui, lui, n’est pas limité dans le temps –, le bénéfice des minima sociaux aux personnes qui prennent ou reprennent un travail.

Le RSA pourrait également se substituer, au moins en partie, à la prime pour l’emploi (PPE), dispositif créé en 2001 par le gouvernement Jospin. Il s’agissait de donner quelque chose aux bas revenus, alors que la gauche gouvernante opérait un tournant majeur en réduisant la progressivité de l’impôt sur le revenu au profit des plus fortunés. La PPE peut être actuellement perçue pour un revenu plafonné à 1,4 fois le Smic pour un célibataire (2,8 Smic pour un couple qui travaille). Cette perspective de remise en cause (on ne sait pas encore dans quelle proportion) de la PPE a suscité des oppositions et des commentaires sarcastiques. Jacques Chérèque a ainsi déclaré qu’on allait « financer le retour à l’emploi des plus pauvres en enlevant de l’argent aux plus modestes ».

Mais, comme le fait remarquer Jean Gadrey2, cela va au-delà et on peut très bien imaginer que le RSA Hirsch, version 2007 redimensionnée par Sarkozy, conduise à un scénario où le taux de pauvreté reculerait aux frais des revenus modestes. Il est, en effet, tout à fait possible d’améliorer l’indicateur de pauvreté en faisant franchir le seuil de la pauvreté aux moins pauvres sans rien changer à la situation des plus pauvres et en dégradant un peu la situation des gens modestes (sans les faire tomber dans la pauvreté). À cet effet, on ferait des économies en laissant stagner le pouvoir d’achat du revenu garanti aux inactifs. On en ferait également en réduisant les prestations (comme la PPE) des salariés modestes juste au-dessus du seuil de pauvreté.

Par ces tour de passe-passe, on financerait ainsi un RSA qui permettrait à des personnes occupant un emploi à temps partiel de sortir de la pauvreté3. Le président et le haut-commissaire pourraient ainsi chanter victoire à la veille de la prochaine présidentielle alors, qu’en fait, le clivage se serait accentués entre les « bons » et les « mauvais » pauvres (ceux qui n’auraient pu se réinsérer dans l’emploi), tandis que l’emploi précaire prospèrerait.


1. Indemnisation des chômeurs et minima sociaux en France

Le système d’indemnisation actuel des chômeurs repose sur deux piliers : un pilier financé par des cotisations, dépendant d’un organisme cogéré par les organisations patronales et syndicales ; un pilier financé par l’État, destiné aux chômeurs de longue durée sortis du système précédent.

L’allocation dite de « solidarité spécifique » est une allocation différentielle, c’est-à-dire qu’elle n’est versée à taux plein (14,74 euros par jour) qu’aux personnes concernées, dont les ressources sont inférieures à un certain niveau. Elle diminue ensuite selon les ressources de la personne (ou du foyer) pour finir par devenir nulle.

Les minima sociaux s’adressent à des personnes dans une situation spécifique. Ils sont au nombre de neuf  (si l’on compte l’allocation versée aux chômeurs de longue durée) et concernent les handicapés, les parents isolés, certaines personnes âgées, les personnes en difficulté d’insertion. Ce sont fréquemment des allocations sous condition de ressources et différentielles. Leurs niveaux sont différents.

L’allocation qui concerne le plus de monde (1/3 des 3,5 millions de bénéficiaires directs de minima sociaux, 6,4 millions de personnes avec conjoints et enfants) est le revenu minimum d’insertion (RMI) : il s’élève à 448 euros pour une personne seule sans enfants, 672 euros pour un couple sans enfants, et 941 euros pour un couple avec deux enfants. Le RMI tend à devenir une « troisième allocation chômage » dans la mesure où les restrictions apportées au système d’indemnisation font que de nombreux demandeurs d’emploi n’ont plus que cette issue (au total, moins de six chômeurs sur dix sont indemnisés). Il est, par ailleurs, à noter que le RMI a sensiblement reculé par rapport au revenu médian (34,9 % de celui-ci en 1990, 32,1  % en 2002, 30,1 % en 2008) et a même diminué en pouvoir d’achat depuis 2002. Le recul du minimum vieillesse est encore plus sensible.

2. La mesure de la pauvreté dans les statistiques officielles

La définition officielle de la pauvreté est une définition relative (par rapport au revenu médian) et non absolue (personnes qui se trouveraient en dessous d’un seuil de pauvreté fixé par rapport à des besoins incompressibles).

En 2005, 7,1 millions de personnes (12,1 % de la population) était pauvre, c’est-à-dire vivait dans un ménage au niveau de vie inférieur à 60 % de la médiane des niveaux de vie, soit 817 euros mensuels.

1,7 millions de personnes (7 % des travailleurs) occupaient un emploi mais appartenaient à un ménage dont le revenu (y compris les prestations sociales) est inférieur au seuil de pauvreté (selon le rapport 2007-2008 de l’Observatoire national de la santé et de la pauvreté sociale).

Sont pris en compte ici les revenus de toute nature dont bénéficie un ménage. Si on se limite aux revenus d’activité, 3,7 millions de travailleurs (15 %) reçoivent moins que le seuil de pauvreté. Parmi eux 1,8 millions de salariés ayant travaillé toute l’année sans période de chômage. Enfin, 13 % des personne déclarent avoir renoncé à certains soins pour des raisons financières.

Henri Wilno


Notes

1. Le revenu médian est celui au dessous duquel se trouve la moitié de la population.

2. Jean Gadrey, « Pour réduire la pauvreté, va-t-on faire payer les pauvres ? », 28 mai 2008, sur le site d’Alternatives économiques.

3. Ce serait encore plus facile en jouant sur le thermomètre et en modifiant l’indicateur de pauvreté (comme semble s’y affairer Martin Hirsch).

 

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